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Sauveur Carlus

graphiste, illustrateur, peintre, auteur, compositeur, interprète

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Séquence 1/ (Extérieur jour. Sur une plage. Magic hour : crépuscule flamboyant)


(Dans le soleil couchant, plans interposés entre un homme et une femme. Sur les premiers plans, voix off d’une femme –sans doute celle de l’image. Le ton nous fait deviner qu’elle est en train de lire, d’autant plus que l’on voit parfois cette femme, au bord de la mer, absorbée par la lecture d’un ouvrage ancien, magnifiquement relié.)


Voix off

« …au dernier rayon du soleil par-delà l’horizon, l’Elu n’aura plus qu’à tremper ses pieds pour devenir sirène… »


. Plans sur la femme/

Cette dernière s’avance lentement dans l’eau. Religieusement et entièrement vêtue. Elle a posé sur le sol sa Bible ancienne. Au loin, un bateau de pêcheurs.


. Plans sur l’homme/

Ce dernier court, plus à l’intérieur des terres. Il cherche et appelle très fort une femme –sans doute celle des plans parallèles– du nom de Lili.


. Plans sur la femme/

(Fin de la voix off. Au loin, cris de l’homme)

La femme continue de s’avancer lentement dans l’eau. D’abord juste aux chevilles, l’eau atteint maintenant ses genoux. La femme ne semble pas se soucier des cris de l’homme. Elle paraît habitée ou plongée dans une profonde méditation.


. Plans sur l’homme/

Il vient d’apercevoir la femme. Il s’affole et crie de plus belle son prénom.



Séquence 2/ (Extérieur jour. Magic hour : lumière décroissante au fil des plans)


(Même plage. Homme et femme, face à face. Même crépuscule)


Note technique/ La lumière est le troisième personnage de la scène. Elle est omniprésente, en ce sens où son intensité épouse celle des sentiments et celle de l’action. Plus le soleil déclinera, plus la tension montera. Jusqu’à la nuit totale, moment attendu ou craint du dénouement. De plus, la lumière et les ombres, qui s’accrochent aux visages, confèreront à ces derniers leur caractère dramatique, inscrit dans cette unité de lieu, d’action et de temps…



L’homme

Lili ! Lili ! Attends ! (Il court jusqu’à la femme, entre dans l’eau, se saisit de ses épaules) Lili ! Ecoute-moi ! Mais qu’est-ce que tu espères, là ? Oh ! Tu m’entends ? Réveille-toi, nom de Dieu !


La femme ouvre de grands yeux qui roulent autour d’elle. Elle paraît à la fois craintive face à la ténacité de l’homme et farouchement décidée à ne pas lui céder pour autant.


La femme

Laisse-moi ! Lâche-moi ! Va-t-en ! Tu me fais mal !


L’homme (serrant davantage ses mains sur le bras de la femme)

Lili ! Ne reste pas ici !


La femme (trop enfantine pour son âge)

Tu me fais mal. Lâche-moi ! Laisse-moi !


L’homme semble vouloir maîtriser à présent sa colère qu’il sent monter. Sa voix est intérieure, comme un père en somme qui parlerait à sa fille, alors que Lili et lui ont le même âge.


L’homme

Lili, sors de cette eau, s’il te plait !


La femme

Non ! Laisse-moi ! Lâche-moi !


L’homme (ramenant alors avec force la femme sur le rivage)

Tu vas te calmer, oui ! J’en ai ma claque de tes conneries ! (Il s’arrête tout à coup. Son regard se fixe à terre, sur le fameux livre à la couverture ancienne) Ah ! Le voilà ! Le voilà, l’objet de malheur !


Tombée sur le sable, après avoir été traînée par l’homme, la femme s’empare du livre et le colle contre son cœur comme pour le protéger.


Note technique/ La caméra devra être prompte à saisir la fugacité des émotions sur les visages. Le rythme des plans épouse celui des répliques.


La femme

Ne touche pas à ce livre ! Il est à moi !


L’homme

Il n’est ni à toi, ni à moi, ni même à cette vieille sorcière de la cabane à qui tu rends trop visite et qui te raconte des fables !


La femme

Il est à moi et tu n’es qu’un menteur…


L’homme se tourne un instant vers la mer pour tenter d’évacuer sa colère et respire profondément.


Note technique/ Travelling sur l’horizon. Le crépuscule décroît. Le bateau de pêcheurs vient d’allumer ses torches. Ce plan large marque une rupture avec la série de plans plutôt serrés sur visages à laquelle il succède.


L’homme (plus apaisé)

Lili, ça me fait beaucoup de peine quand tu me parles comme ça. Et tu le sais… Tu le sais que je suis le seul qui te veuille du bien, tu le sais, ça, hein ? Que je suis là pour te protéger des gens du village qui te regardent de travers ; et qui ne t’accepteront pas d’ailleurs dans leur groupe si tu t’obstines à aller voir autant cette folle…


(En parlant, il s’approche tout doucement de la femme. Elle, elle reste immobile, toujours avec ses yeux effrayés, toujours sur le qui-vive, toujours avec son livre contre son cœur et dans ses bras solidement fermés.)


Garde le livre, si tu veux. Si c’est la vieille qui te l’a donné, alors c’est un cadeau. Quel qu’il soit… N’aie pas peur, je vais pas te le prendre. Je veux juste que tu essaies de te calmer. On va rentrer ensemble à la maison, d’accord ?


La femme

Mais je peux pas rentrer à la maison…


L’homme tâche de paraître toujours aussi doux, malgré sa perte évidente de patience.


Note technique/ Retour progressif sur plans serrés sur visages. Surtout regards.


L’homme

Et pourquoi tu ne peux pas rentrer à la maison ?


La femme

Parce que ce soir est Le soir.


L’homme

Le soir de quoi ?


La femme (étonnée que l’homme ne sache pas)

Ben… C’est ce soir que je vais naître…


L’homme

Ah bon ? C’est ce soir ?


La femme

Oui. C’est écrit dans le livre.


L’homme

Oh, comme c’est intéressant. Et qu’est-ce qu’il dit d’autre, ce livre ?


La femme (pleine de joie tout à coup de parler de ce qu’elle aime)

Ce livre, c’est le livre sacré du peuple des sirènes, la preuve indéniable que les sirènes existent vraiment, vraiment. Mais tu le sais ça, enfin… (Et rougissant) Je t’en ai déjà parlé…


L’homme

Oui, oui, ça me revient. Mais simplement au fur et à mesure que tu me le racontes de nouveau. Vas-y. Et après ?


La femme

Eh bien ! Les sirènes, comme nous, mais autrement, elles croient à un bon Dieu. Mais qui n’est pas le bon Dieu de chez nous. C’est le bon Dieu des sirènes.


L’homme

En voilà, une histoire… A quoi ressemble ce bon Dieu alors ?


La femme

Oh, j’sais pas, moi. A tout. L’essentiel, c’est pas ce à quoi il ressemble, c’est ce qu’il a dit.


L’homme (toujours faussement intéressé, connaissant bien évidemment l’histoire par cœur)

Ah ! Et alors, qu’est-ce qu’il a dit ?


La femme

Beaucoup, beaucoup de choses… Euh… Qu’il faut… qu’il faut… donner…


L’homme

Mm, mm…


La femme

Aimer…


L’homme

Mm, mm…


La femme

Enfin, tout ça, quoi… les trucs des religions. Elles se ressemblent toutes.


L’homme

Oui, c’est vrai, vu comme ça… Mais en quoi celle-ci t’intéresse plus que les autres ?


La femme semble s’emporter soudain dans un élan de passion. Sa voix est à la fois vive et murmurée comme lors de la confession d’un secret.


La femme

C’est terrible, tu sais. Les hommes détruisent les sirènes.


L’homme

Les hommes détruisent les sirènes ? On en a déjà pêché ?


La femme

Non, non, on en a jamais trouvé. Les sirènes vivent très, très profond. Elles sont cachées. Par contre les hommes pêchent des calamars.


L’homme

Des calamars ? Quel rapport avec les sirènes ?


La femme

Les calamars ont de l’encre dans leur ventre. Chez les sirènes, c’est eux qui écrivent. C’est eux qui ont écrit les Saintes Ecritures réunies dans ce livre. C’est eux aussi qui transmettent par leur don le savoir.


L’homme

Pas possible ?


La femme

Si. Les hommes pêchent des calamars et les sirènes, elles, perdent leurs savants et leurs poètes.


L’homme

Si je comprends bien, les calamars sont des intellectuels que les pêcheurs oppriment.


La femme (soudain plus sombre)

Les sirènes vivent un grand malheur. Si les calamars disparaissent, elles, elles seront privées d’écriture, leur savoir et leur pensée ne perdureront plus, elles s’éteindront. Tout ça, ça a été écrit dans leur Bible. L’extermination est en marche.


L’homme

Et tout ça à cause des hommes ?


La femme

Oui, ces salauds !


L’homme

Voyons ! Ne parle pas comme ça. Eux, ils n’y sont pour rien. Ils ne savent pas qu’en pêchant de simples calamars, ils mettent en danger d’appauvrissement intellectuel, et donc de mort, un peuple dont ils ignorent d’ailleurs l’existence.


La femme

Mais non ! Et c’est là que tu te trompes. Les hommes sont vicieux. Ils savent que les sirènes existent. Ils les cherchent, ils les chassent, ils les veulent. Ils connaissent le rôle que jouent pour elles les calamars. C’est comme un louveteau qu’on prendrait en otage pour faire sortir la louve du bois. En s’attaquant aux calamars, les hommes espèrent que les sirènes leur offriront quelques-unes d’entre elles pour enrayer le massacre.


L’homme

Ah, je comprends. Mais comment savent-ils tout ça ?


La femme (abrupte)

Ils le savent. Les hommes savent tout. Ils ne sont pas aussi stupides qu’ils en ont l’air. C’est ce qui les rend d’ailleurs si dangereux…

(Après un silence)

Tu vois le bateau, là-bas ?


Note technique/ Plan large sur l’horizon. La nuit quasiment pleine enveloppe l’atmosphère. Le bateau se découpe sur l’obscurité par le feu de ses torches.


L’homme

Oui.


La femme

Eh bien ! C’est un bateau de pêcheurs. Et sur le pont, tu sais ce qu’il y a ?


L’homme

Tu vas me le dire…


La femme (haineuse)

Des filets pleins de calamars à l’agonie. Chut ! Ecoute.


L’homme (tendant l’oreille)

Eh bien ! Quoi ? Que faut-il que j’entende ?


La femme

Les cris…


L’homme

Le chant des sirènes ?


La femme

Mais non, sur le bateau, mêlé au vacarme des mailles et des chaînes qui lacèrent et ensanglantent, le dernier pleur étouffé des calamars qui meurent.


L’homme

Si les calamars sont aussi nécessaires aux sirènes, il faudra bien que celles-ci se mobilisent pour que cette boucherie cesse enfin, non ?


La femme

Pas la peine. Il faut ne pas entraver le déroulement des événements relatés par les Ecritures. On ne peut pas aller contre la destinée.


L’homme

Ah ! Et que dit la Bible des sirènes ?


La femme

Elle annonce la venue d’un prophète.


L’homme

Que je suis bête ! Bien entendu ! Toute religion annonce un prophète. C’est bien pour ça que les périodes de cauchemars existent. Sinon, à quoi rimerait-il d’espérer ?


La femme (envoûtée)

C’est ça, c’est ça. Jadis, les sirènes, comme tout peuple, ont sans doute commis des fautes ; et c’est du sang et de l’encre des calamars qu’elles doivent les expier. Mais l’heure de la purification a sonné. C’est ce soir que les Ecritures ont fixé l’avènement du Sauveur.


L’homme (tendu)

Ce soir, dis-tu ?


La femme (marchant vers la mer, le livre toujours dans ses bras)

Oui. Le livre parle de cette plage… Il parle aussi d’un humain. Le Sauveur des sirènes, un humain, devra entrer, ce soir même, dans l’eau de cette plage, pour que ses jambes puissent devenir queue de poisson.


L’homme (ne se maîtrisant presque plus)

Pourquoi un humain qui deviendrait sirène ? Pourquoi pas une sirène d’emblée ? C’est pas logique.


La femme

Oh que si, ça l’est ! Il faut que ce soit un humain, parce que seul l’homme est capable de comprendre l’homme, et par-là même de le combattre.

Fort alors de cette nouvelle présence en son sein, le peuple des sirènes va pouvoir enfin se ressaisir, gagner pour de bon la guerre que les hommes lui livrent depuis maintenant trop de temps.


L’homme

Et comment ?


La femme

Ça, on l’ignore. Les Ecritures s’achèvent ici. Mais ce que je sais, moi, c’est que ce prophète, c’est moi.

(La femme se retourne d’un seul coup vers l’homme et entre dans une colère folle)

Et tu ne m’auras pas. Ah ça, non ! tu crois que je ne me suis aperçue de rien ? Tu crois que je suis folle, hein, c’est ça ? Eh bien ! non !

Oui, je sais que tu ne m’as jamais aimée comme tu l’as pourtant prétendu si longtemps. Si tu m’avais aimée, tu ne m’aurais pas soi-disant tant protégée. Tu m’aurais dit enfin ta vraie vie, celle du soir, celle où tu devais travailler tard et qui te voyait rentrer au petit matin chargé d’odeurs salées. Tu m’aurais avoué que tu aides en douce les pêcheurs à tuer les calamars, que tu n’hésites pas à éventrer leurs cœurs pleins de poésie afin de traquer et de t’approprier dans une poursuite nocturne sans merci toute la mémoire d’une espèce ! Collabo ! Ordure ! Va te faire foutre !


La femme court dans la mer à une vitesse quasi surhumaine. L’homme se précipite derrière elle.


L’homme (nageant presque)

Lili ! Lili ! Je t’en prie ! Reviens ! Je t’aime ! Oublie ce livre ! Lili ! Lili !


Plan large. La femme nage devant. Elle plonge. L’homme crie de plus belle. Il plonge aussi. La mer déjà les avale. Sous l’eau, il la rattrape. Ils se débattent.


Note technique/ La caméra vacille. Plans obliques.


La femme (remontant à la surface)

Je vais devenir sirène ! Je vais devenir sirène !


L’homme remonte à son tour, s’agrippe à elle et cherche à la maîtriser.


L’homme

Calme-toi ! Lili ! Lili ! Calme-toi ! Ou on va se noyer…


La femme

Toi, tu vas te noyer ! Ordure ! Pas moi ! Moi, je vais devenir une sirène… (Et au bateau, au loin) Fumiers ! Votre heure a sonné. Vos souffrances seront aussi fortes qu’emplis de cadavres ont été vos filets ! Ah ! Que je suis heureuse !


L’homme

Lili ! Lili ! Je t’ai aimée. Je veux que tu le saches.


La femme

Non !


L’homme

Je t’aimerai toujours. J’ai simplement voulu te…


La femme

Me protéger, oui, c’est ça !


L’homme

Lili, au nom du ciel…


La femme

Au nom de la mer !


L’homme (que Lili essaye à présent de noyer de sa main)

Lili ! Mon corps ! Mon pauvre corps !



Séquence 3/ (Extérieur jour. Magic hour : dernières lueurs jusqu’à la nuit totale)


L’homme s’affole. Il échappe au geste meurtrier de Lili à son égard. Il lui jette un dernier regard d’incompréhension avant d’être emporté par le poids de son corps.


Mais il plonge plus qu’il ne coule. Une queue de poisson émerge en suivant gracieusement le mouvement de son torse et de ses membres supérieurs.


A cette vision, la femme pousse un hurlement. Le crépuscule vient de laisser définitivement place à la nuit. Après avoir traversé durant la scène des roses et des violacés éblouissants, le bleu de la mer s’est à présent densifié comme une tache d’encre produite par une armada de calamars prêts à l’assaut final et qui, à l’instar de la sécrétion d’une gangrène, se serait étalée en envahissant toutes les eaux. Seules quelques lumières semblent ici ou là s’accrocher encore vainement à l’abîme naissant.


Au loin, à la proue du bateau, l’homme ressurgit de l’eau en bondissant aussi lestement qu’un dauphin. Dans les rayons jetés par les torches du pont, l’eau rescapée dans la saillie de ses muscles souligne la beauté de son corps. L’eau glisse aussi dans le creux de ses écailles. Ses deux majestueuses nageoires brillent alors comme deux larges et remarquables miroirs. L’homme devenu sirène s’élance promptement vers les pêcheurs. Les calamars n’élèvent plus leurs pauvres râles, mais ils unissent maintenant leurs cris de victoire à celui, enfin, plus évanescent, des autres sirènes…

Story board

Scénario

Hommage à Maria

Affiche

Scénario La sirène d'or